dimanche 10 juillet 2011

Mont Bouton (au sommet de Leogane)

Le réveil du téléphone portable de José avait sonné à 5h du matin. Je trouvais qu’il faisait étonnement noir pour 5h du matin, car on était au mois de juillet. En fait je m’étais trompé, l’horloge du téléphone était en avance d’une heure. Après avoir pris ma douche, je me suis mis à penser que l’Agr Noel, mon père, a du se retrouver dans  cette situation des milliers de fois, se préparer à partir alors que toute la maisonnée dort encore.
J’avais encore une heure à tuer, alors je décidai de répondre à certains emails, dont celui de Biogreen Energy. Russel, l’ingénieur qui vit en Nouvelle Zélande m’avait posé des questions sur la lampe solaire que nous sommes en train de mettre au point.
Vers 5h, j’appelai Yonyon (Julio de son vrai nom) pour savoir s’il était prêt. Il m’a dit qu’il attendait Adner, celui qui doit nous déposer à Léogane. Yonyon est un des pionniers d’ENERSA, je l’ai rencontré alors qu’il travaillait comme débardeur à la SONAPI. Il a commencé à travailler avec nous alors qu’on était sur la galerie à la maison. Il n’est pas très costaud mais il a une endurance exceptionnelle. A maintes reprises il m’a impressionné, particulièrement à Cerca-la-Source. A 3h du matin, il fallait voir avec quelle ardeur il mélangeait le béton alors que nous avions travaillé toute la journée.
C’est donc avec Yonyon que j’allais monter au Mont-Bouton, dans les hauteurs de la ville de Léogane, une ascension de 5h d’après Randy. Yonyon s’y était  déjà rendu  il y a 3 semaines pour installer le lampadaire que Randy Mont-Reynaud avait offert à la communauté de La Tournelle. Malheureusement, mes obligations m’avaient empêché de participer à cette installation. Les villageois avaient envoyé une équipe de 24 hommes pour transporter l’équipement.
Randy, c’est une Américaine  de 63 ans qui vit en Californie, elle est anthropologue et enseigne à l’université de Standford. Depuis 10 ans elle vient chaque année passer 2 ou 3 semaines à Mont Bouton. Elle a son organisation, www.ifpigscouldflyhaiti.org, elle collecte un peu d’argent et aide la communauté qui vit au sommet de la montagne.  Elle a eu vent d’ENERSA à travers Zafen, le projet de financement d’entreprise de Fonkonze. C’est ainsi qu’elle a offert un lampadaire solaire aux habitants de la Tournelle. Elle tenait à  me voir car elle a reçu des pompes solaires en cadeau et aimerait les installer pour soulager la misère des habitants qui doivent descendre au fond de la vallée et remonter avec des gallons remplis d’eau sur la tête. Elle m’avait montré quelques croquis mais je ne pouvais prendre aucune décision ni faire aucune proposition avant d'avoir vu le site moi-même.
Voila donc la raison de mon voyage au Mont-Bouton.
A peine le email à Russel terminé, mon téléphone sonne les gars sont devant chez moi. Il est 5h30. Il fait déjà jour, il y a très peu de voiture dans les rues, il est encore tôt. On passe par Bas-peu-de-Chose en longeant l’arrière du cimetière pour arriver au Blvd Jean-Jacques Dessalines. La route se fait facilement jusqu'à Léogane. Yonyon nous indique le chemin. Avant la ville, il faut tourner à gauche sur la route de Mellier à environ 300m après le poste de douane qui se trouve à l’entrée de la ville de Léogane. Après avoir tourné, je constate qu’il n’y a pas de « machann manje » dans le carrefour. Je dis à Adner de nous conduire en ville, pas question d’attaquer la montagne sans avoir mangé. Il est trop tôt, les marchandes commencent à peine à mettre les ingrédients dans les chaudières. Je dis à Adner, de faire demi-tour, j’avais remarqué une marchande de « pen a ze », sur la route. C’est ce qu’il y a de plus rapide.
On déjeune pain, œuf et tampico, sur le bord de la route. A Enersa, il ne faut pas avoir trop de complexe…

J’en profite pour acheter des bouteilles d’eau et des Toro (boisson énergisante). Une fois terminé, on monte dans la voiture et on tourne à la route de Mellier. La route est cahoteuse, on circule dans une plaine très arrosée au milieu des champs de canne à sucre et des bananeraies. On roule ainsi 45 minutes dans la plaine jusqu'à une localité appelée Jeanjean. A partir de là, il faudra continuer à pied.
Je remarque une marchande de figues. J’ai entendu dire que les figues sont pleines d’énergie et que les athlètes en prennent avant les compétitions. J’en acheté deux, une pour moi, une pour Yonyon. Je crois qu’on en aura besoin. On dit au revoir à Adner et on le fera savoir à quelle heure il doit venir nous chercher demain.
Pour se rendre à Mont-Bouton, il faut d’abord traverser la rivière Momance. L’eau arrive au dessus du genou. On arrive de l’autre côté de la berge, on remet nos chaussures et on longe la rivière pendant 5 min. A partir de là, Yonyon emprunte un sentier au lieu de prendre la grande route. La pente sera plus raide mais, le chemin sera plus court.


La fatigue commence à se faire sentir assez tôt, les 8 bouteilles que j’ai mises dans mon sac n’aident pas non plus. Après 45 min, on a dû prendre la 1ere pause.  Je passe le sac à Yonyon, on alternera.
Sur la route on croise des paysans et des paysannes qui font la route avec une facilité déconcertante et la plupart d’entre eux ont une charge sur la tête. Ces gens là, malgré que leur régime alimentaire ne soit pas très équilibré, ont une condition physique à rendre jaloux les champions olympiques.  Ce sont des athlètes qui se gaspillent dans nos mornes. On persiste à investir dans le football. On a la folie de Ronaldo, Messie, Ronaldino etc. même si depuis 30 ans l’équipe nationale ne fait que répéter piètres performances après piètres performances.




Avec un minimum d’encadrement, on serait en mesure de transformer ces jeunes gens qui sont capables de grimper jusqu'au Mont-bouton avec un sac de riz de 25 kg sur la tête, en des champions d’athlétisme. Mais noooonnnnn ! on ouvre des écoles de footbaaaalllllllllll. Je demeure convaincu que le succès répété des ces paysans-athlètes sur la scène internationale, aurait eu plus d’impact au niveau de la société.
Après la première colline, on tombe sur un petit plateau qui nous permet de souffler un peu pour quelques minutes.  On est déjà assez haut, car on domine la plaine de Léogane. L’ascension reprend de plus belle, par moment je suis obligé de mettre les mains par terre. Finalement on quitte les sentiers pour tomber sur « la vraie route ». On prend une deuxième pause, cette fois on est obligé de refaire le plein avec les Toro. Il est déjà 9h.

Le temps est un peu nuageux, ce qui nous rend la tâche plus facile, si le soleil s’était mis à taper fort, ça ne nous aurait pas aidé du tout.
Yonyon, a emprunté le mauvais embranchement mais il s’en est rendu compte. Il demande son chemin à quelques paysans qui sont entrain de labourer leur champ. Heureusement qu’on ne s’était pas trop éloigné de la route. On rebrousse chemin en croisant devant une petite église. L’une des 2 institutions qu’on retrouve le plus dans ce pays. L’autre c’est la borlette. Les deux basées sur l’irrationalité.
Au bout de quelques minutes, on rencontra une bande de gamines sur la route, je leur ai demandé si elles connaissaient maitre John ou Mme Randy ? Elles ont répondu oui et qu’elles allaient se rendre à la Tournelle.  Elles se sont mises à courir devant nous. Des futures athlètes qui croupiront surement ici à 900m d’altitude, parce qu’on préfère les Ronaldo. De toute façon ici c’est le pays en dehors.


Je savais qu’on n’était plus très loin. Après le prochain virage, je vis le poteau que mes hommes étaient venus installer il y a quelques jours. Encore une dizaine de minutes et on était à la Tournelle. La marche a duré moins de 2 heures. Grosse différence avec les 5 heures de Randy.  Faut dire aussi que quand elle monte là-haut elle amène souvent du matériel, machine à coudre, matériel scolaire, génératrice etc.
Le lampadaire est planté près d’une tente, un peu au dessus de «  l’école ». Par euphémisme, on utilisera le mot « école »… Les gens ont reconnu Yonyon et nous ont offert des chaises pour nous reposer. Je sors des barres énergétiques de mon sac. (des boorrr comme on dit).  Pendant qu’on se repose, quelqu’un est allé avertir Randy qu’on est  là . Elle habite un peu plus haut, au sommet du Mont Bouton dans la localité de la Tournelle. Yonyon n’aime pas le « booorrr », il le donne à une gamine.



Je vois Randy qui descend nous rejoindre. Elle se fait aider par Thomas, la pente est raide et la pluie a charrié de grosses roches. Il y a également Danielle avec elle. Danielle est une « diaspora » qui est venue faire du bénévolat dans l’école.  Elle est venue s’isoler à la Tournelle pour apprendre aux petits à compter. Je ne crois pas que le débat sur la double nationalité a une quelconque importance pour ce qu’elle est entrain de faire. On a besoin de plus de Danielle,  non pas de gens qui cherchent des prétextes sur environ  150 postes pour justifier leur manque de participation (ou non participation) à la cause nationale. Comme si la double nationalité était nécessaire pour apprendre à compter aux petits de la Tournelle.


Danielle va à l’école et nous  quatre, on se dirige vers la source. Yonyon pense qu’on peut redescendre cet après-midi si on termine assez tôt. Pas la peine de passer la nuit. Je laisse mon sac dans une des tentes et on part en direction de Wachwach, la source.  Randy se fait aider un peu, à son âge, c’est pas si facile de monter et descendre tous les jours. Quitter la Silicone Valley pour venir à Mont-Bouton, il faut le faire. Je vois mal quelle excuse bidon j’aurais pu donner à Randy pour ne pas me rendre à Mont-Bouton, puisque je prétends que la cause qu’elle défend est 100 fois plus mienne que la sienne.
Pour se rendre à Wachwach, il faut quitter la Tournelle, passer au pied du Mont-Bouton avant de commencer à descendre. On rencontre un habitant de la zone, Nelis qui va venir avec nous. Après avoir quitté la maison de Mme Gilbert, il faut descendre, des sentiers parsemés de roches, le sol est glissant par endroit. C’est pour la première fois que Randy descend à Wachwach. Les habitants s’y sont toujours opposés. Ils ont trop peur qu’elle se blesse.



Je viens de réaliser que j’ai oublié le ruban à mesurer dans mon sac. Randy demande à Nelis d’aller chercher mon sac. Nelis détale comme un fauve dans  le morne en courant, pied nus ! Surement un Abebe Bikila, cet éthiopien qui gagna deux fois consécutivement l’épreuve du marathon aux jeux olympiques. La première fois il avait couru pieds nus.  Thomas nous amène à une première source, un mince filet d’eau coule de la montagne. L’eau ne tarit jamais d’après ce qu’il nous dit. C’est possible de pomper à partir de ce point mais il faudra construire un mini-barrage. Comme les parois sont rocheuses, je me demande si en creusant, on ne pourrait pas créer un bassin naturel. Il faudra  considérer l’ensablement du barrage. Je demande à Thomas s’il n’y a pas d’autres sources. Il me dit de descendre un peu plus bas. On passe devant une source, un mince filet d’eau ou les gens ont mit un bambou pour capter l’eau.

Deux gamins sont entrain de remplir des gallons. J’entends l’eau qui coule avec plus de force un peu plus loin. J’entends également quelques voix.
Il a une cascade où des jeunes filles en profitent pour se laver. Elles se baignent en culotte, et ne semblent pas être trop gênées par la présence des étrangers. Elles ont surement 20 ans et leurs seins sont encore « doubout ». Dans l’Haïti profond, la notion de « pudeur » n’a pas la même connotation.

J’attends que les filles s’en aillent pour prendre place dans la cascade. A Enersa, on joint toujours l’utile à l’agréable, comme à Maissade, Carice, Dori, Petite Rivière de Nippes, Jérémie etc, on se baigne dans la rivière.  Entre temps, je vois Nelis qui arrive avec mon sac sur le dos. Kèt ! Il est déjà de retour.
 
Thomas et Nelis me disent que même si le courant est plus fort, lorsqu’il pleut il y a de grosses roches qui tombent et ça risque d’endommager la pompe. Ils me suggèrent fortement de placer la pompe au site qu’on a visité précédemment. On remonte alors à la première source, pour commencer à  prendre les mesures.
Randy me parla également d’une autre source un peu plus loin avec une grosse cascade où on peut même nager. La distance est plus longue mais la pente est plus douce. On ira la voir ensuite. Elle me dit qu’on verra un fort également ! Un de ces forts construits juste après l’Indépendance. On verra ça plus tard.
Thomas tenait la pointe du ruban et Yonyon déroulait. Je me suis mis à courir pour aller prendre mon calepin dans le sac afin de noter les mesures et là …
Catastrophe !
Mon pied glissa sur une roche et je me fis une entorse à la cheville !
J’ôtai mon espadrille. Mon pied commença à enfler immédiatement. Comme on était près de l’eau, on versa l’eau des gallons des gamins sur ma cheville. L’eau fraiche diminua un peu la douleur, c’était la seule chose qu’on pouvait faire. Je ne pouvais plus remettre mon espadrille alors je pris ma sapate droite dans mon sac. Je bois un peu d’eau de la source. Comme dis Randy, « cholera doesn’t go up » (le cholera ne monte pas). Les sources partent de la montagne, donc personne ne peut les polluer en amont.
Il me fallait faire vite pour sortir du fond de la vallée. Yonyon me conseilla de marcher vite pendant que l’entorse est encore à chaud. Après ce sera trop tard, je vais avoir du mal à marcher. Il allait continuer à  prendre les mesures avec Thomas. Je ne voulais pas les laisser seuls, alors je suis resté avec eux jusqu'à ce qu’ils aient fini. La distance est de 1040 pieds et on va mettre un réservoir intermédiaire à 350 pieds. D’après la fiche technique des pompes, la distance et la hauteur ne devrait pas être un problème.  La chose qui m’inquiète le plus est la sécurité des panneaux solaires, qui seront isolés près de la rivière.
On voulait amener l’eau jusqu'à chez Mme Gilbert, mais Randy s’est ravisée rapidement. Mme Gilbert a déjà annoncé qu’elle allait mettre de « l’ordre dans l’eau » et qu’elle n’allait pas accepter que les enfants viennent faire du bruit à la fontaine.
On était arrivé sur la grande route lorsque j’ai senti quelques gouttes de pluies, je me dépêchai pour arriver chez Randy. Thomas avait déjà envoyé un mot à son beau-père. C’est un « râleur », c’est lui qui va me masser la cheville. La pluie avait déjà commencé pour de bon, une bonne pluie tropicale.

Mon pied est déjà enflé, j’ai une boule de la taille d’une demi-balle de tennis.  Le râleur est arrivé avec  2 « zoranj su », 7 grains de sel et une tasse émaillée remplie d’eau. Il fait un signe de la croix (irrationalité !) et commence à me masser le pied. Il dit qu’il doit replacer la veine.  Ca fait extrêmement mal, je tiens les parois de la chaise de toutes mes forces, il me tire les orteils, me tord le pied, passe les zoranj su, tout cela sous le regard de Yonyon, Thomas et Randy. Yonyon est très contrarié, il sait que je vais devoir rester au lit quelques jours. Il a déjà eu ce genre d’entorse. Il s’inquiète pour « Boss ».


Après qu’il eut terminé, le râleur demanda une pièce de monnaie. Il faut « payer la déraison » ! Je lui donne une pièce de 5 gourdes. Il effleure mon pied avec l’argent en faisant des signes de la croix avant de la déposer par terre. Ici à Mont Bouton, on ne croit pas beaucoup aux équations différentielles, on préfère les «forces  invisibles » - de tout acabit.
Je suis allé m’allonger sur le lit de Randy. Elle loue une petite maison paysanne au sommet du Mont Bouton. Elle s’approcha de moi avec son Iphone, en faisant jouer « La vie en rose ». La pluie tombait avec tellement de rage, que j’arrivais à peine à entendre la voix d’Edith Piaf. Après quelques minutes, je me suis endormi.
Il était 5h30, quand je me suis réveillé. La pluie avait cessé, il n’y avait que Randy dans la maison, les autres étaient partis. Yonyon parti rechargé son téléphone. La situation de ma jambe avait empiré, je ne pouvais plus prendre appui sur le pied. Randy me servit à manger, riz, sauce pois rouge, macaroni et sauce de bœuf. Après le repas, on s’est mis à parler politique et elle me donna plus de renseignements sur son organisation.  La conversation était très enrichissante, j’étais en face d’une anthropologue…
Yonyon revint vers 6h30, le soleil allait se coucher. Je voulais qu’il aille prendre des photos du lampadaire allumé, vu que je suis invalide. Je lui ai montré comment mettre la caméra en « mode nocturne » pour avoir une image qui reflète le plus possible la réalité. Il fallait que je sorte de chez Randy, car je devais dormir chez Nekles, à  20 m de chez Randy. J’ai du me faire épauler par 2 types pour m’y rendre. Yonyon était vraiment attristé de me voir ainsi. Je lui ai demandé de prendre ma couverture dans mon sac. A 900m d’altitude, ça ne peut pas nuire. Yonyon lui va dormir chez le râleur, vu qu’il faisait déjà nuit, je lui ai donné le flash pour qu’il aille prendre la photo.
Danielle était revenue également, elle a appelé sa sœur qui est infirmière aux Etats-Unis. Elle a dit que je dois garder le pied surélevé et de la garder bien au chaud.  Après m’avoir installe dans le lit, Randy et Danielle sont parties se coucher. Dans l’Haïti profond, on se couche à 20h00. Il n’y a rien à faire d’autre après le coucher du soleil. J’ai essayé d’utiliser mon téléphone mais le signal était tellement instable que j’ai dû me résigner à m’endormir au son des anolis et des crapauds.
Il commençait à faire jour, il devait être 5h. J’entends des gens passer dans la cour, c’est la conséquence de se coucher à 20h00, on se lève à 5h. Nekles, m’amena un peu d’eau, une serviette et un savon. L’expression « lave je » prend tout son sens ici. J’utilise le « vaz pise » pour me brosser les dents et me « laver les yeux ».
Vers 6h, Randy s’amène avec du café et de la kasav. Je n’ai jamais vu de la kasav aussi tendre ! Elle se roule comme du pain, de loin supérieur au kasav zeb ginen que j’ai l’habitude d’acheter à Hinche. Mon pied va beaucoup mieux, je peux me tenir debout et même faire quelques pas. 
Randy et moi reprenons notre discussion. Elle me dit que le sujet de sa thèse c’est est-ce que nos croyances entant qu’adulte sont influencées par nos croyances lorsque nous étions enfants. Je lui sors ma théorie, selon laquelle une population évolue comme un être humain et que nous en Haïti, nous sommes encore au stade du merveilleux féerique comme les gamins de 5 ans qui croient au Père Noel. Elle me fait comprendre que ce n’est pas politiquement correct de dire ça et que dans les milieux académiques, ce genre de suppositions sont inacceptables. Peu importe ce que pense les académiciens, je demeure accrocher  à ma théorie. L’Haïtien est un terrain fertile ou les irrationalités fleurissent comme des champignons… Le pire dans tout ça, c’est que certains individus ne conçoivent même pas que leurs croyances fassent parti de la catégorie des irrationnels et se croient supérieurs aux autres croyances irrationnelles.
Randy me regarde et me dit que son fils est plus noir que moi. Je lui demande si son père c’est un Noir, elle me répondit : maybe (peut-être). Devant  l’expression de mon visage, elle s’empressa d’ajouter qu’elle l’a adopté dans un orphelinat au Vietnam alors qu’il n’avait que quatre mois.
Elle me montre des présentations Powerpoint qu’elle a fait sur Haïti. Il y en a une qui est particulièrement choquante. Il y a un poète afro-américain qui avait visité Haïti dans les années 1930, il avait pris des photos et avait écrit un texte ou il décrivait la misère et l’injustice qu’il voyait. Il insistait beaucoup sur les gens pieds nus. Randy a pris des photos contemporaines mais elle a gardé le texte… C’est honteux
Entre temps les autres sont arrivés, Yonyon, Thomas, Danielle etc. Yonyon me montre les photos qu’il a prises hier soir. On commence à parler développement, je ne peux m’en empêcher. Thomas me dit qu’ils ont un groupement d’environ 50 membres. Evidemment, il est un peu difficile d’arriver à réunir 50 personnes, donc les réunions sont toujours boiteuses.  Je lui parle de la formule que mon père avait appliqué à Gros-Morne, des groupements entre 8 et 12 personnes unies par des liens de parentés ou économiques. Thomas me dit  qu’autrefois, on produisait du café à la Tournelle, maintenant à cause du déboisement, il n’y a presque plus de café. Ce discours, je l’ai entendu à mainte et mainte reprise.
Thomas me dit qu’ils arrivent à produire du riz à la Tournelle ! A cause de mon entorse, je suis coincé…! A partir de ce que je vois, les paysans pratiquent une agriculture de subsistance…
Randy a déjà contacté Gael Pressoir, celui qui dirige la fondation Chibas. Gael fait des recherches sur le jatropha et le sorgho sucre en Haïti. Randy voulait savoir si on pouvait planter du jatropha pour produire de l’huile végétale et éventuellement produire du biodiesel. Malheureusement, la Tournelle n’est pas appropriée à ce type de culture.
Le mulet est arrivé. Yonyon pense que je dois avoir une autre séance avec le râleur. Le mulet avait une selle en bois et un macoute en paille, ce type de monture est plus destiné au transport de marchandises. Je vais devoir m’adapter, ma mère m’avait dit pour éviter d’avoir mal aux fesses, il faut osciller en phase avec le trot du cheval. Vu l’état de la route, je ne crois pas qu’on pourra trotter.
Je m’installe sur une chaise sous la tonnelle entre la maison de Randy et celle de Nekles. Une autre séance de torture, le râleur affirme que s’il était présent tout de suite après l’entorse, mon pied serait déjà guéri. 
Il est déjà 9h, Randy veut que je passe voir l’école avant de partir pour me montrer ce qu’elle fait avec les enfants. La pente de chez Randy est beaucoup trop raide, je dois descendre à pied, je remonterai sur le mulet plus bas. Nekles me donne un bâton de bois d’amande ! (pas zanman non). Ca sent l’Amaretto à plein nez. Il me dit que c’est un bois très dur, ça m’aidera en chemin. En effet, je descends du Mont Bouton à pied avant de chevaucher ma monture.



Après quelques centaines de mètres sur le plateau, j’ai dû descendre, le chemin était très à pic et il y avait de grosses roches en plus. Je remontai sur le mulet, jusqu'à l’école.
L’école... Hm !
L’école c’est une espèce de maison en bois tressé10m x 4m, on ne l’a pas recouverte de boue comme dans les maisons ordinaires.  Le sol est en terre battue. Il y a une grande salle avec des bancs qu’on pourrait dire « rapiécées » avec des morceaux disparates, sans aucune forme géométrique et une pièce plus petite ou elle stocke le matériel  pédagogique.
Il y a déjà une quinzaine de gamins, un mélange assez hétéroclite, filles, garçons entre 3 et 10 ans. Leur accoutrement transpirent la pauvreté, voire même misère. C’est ici que Randy a choisi de mener son combat.
Maitre John commence le cours. Les enfants chantent en anglais, ils comptent en anglais également. Randy branche un haut-parleur dans son Iphone  et les enfants se mettent à chanter en montrant un numéro. Jusqu'à vingt.
Entre temps d’autres enfants sont arrivés, ils sont maintenant une trentaine. On les sépare en 3 groupes suivant leur taille, plus que leur âge.
A l’aide de domino, de dés et de blocs, les enfants apprennent à compter.
J’avais commencé à me questionner sur les méthodes d’enseignement mais j’ai arrêté. Ou est l’Etat ? Il  y a un phénomène d’acculturation certes, mais si ces enfants arrivent à compter même si c’est en anglais, c’est grâce à une Californienne qui a décidé de consacrer son temps et son énergie à aider la communauté.
Il était déjà 10h et on avait demandé à  Adner de venir nous chercher à midi à Jeanjean. Sans mon accident, on serait rentré en transport en commun. Il fallait commencer à descendre. Je me remis en selle et en on commença à descendre pour de bon. A la vitesse à laquelle avançait l’âne, la descente risquait d’être plus longue que la montée. Le mulet avançait à pas de tortue, j’ai dû descendre de l’âne à deux reprises.
C’est jour de marché à Darbonne. Sur la route on croisa des gens qui avaient déjà fini de vendre ou d’acheter et qui commençaient à remonter. Il n’est que 11h du matin. Certains guident des mulets surchargés mais d’autres transportent d’énorme charge en équilibre sur leur tête. Ceux que les petits bourgeois classe moyenne traitent souvent de fainéants ou de paresseux. Malheureusement la batterie de ma caméra est à plat !
Après 2 heures de descente, on arrive à la rivière. On a fait la route sans eau, et le morceau de kasav que j’ai mangé ce matin était loin d’être suffisant. Se tenir en équilibre sur le mulet est presqu’aussi forçant que de marcher à pied.  Je suis donc tout aussi fatigué, j’ai soif et je suis affamé. On s’arrête à la première marchande. Deux pâtés aranso et 2 King kola et me voila à point. On longe la rivière pendant quelques minutes avant de trouver le point de passage jusqu'à Jeanjean. Je traverse la rivière à dos de mulet, Adner est sur l’autre rive depuis 30 min.
Je remercie Tijean d’avoir conduit le mulet. Il me conduisit jusqu'à la voiture pour éviter que je ne marche sur mon pied.
Sur la route, en direction de Léogane, Yonyon dit à  Adner d’arrêter. Il a vu quelqu’un, un de ceux qui avait aidé à transporter le poteau au sommet de la montagne. Yonyon me dit qu’il n’a jamais donné sa place à quelqu’un ! Il a transporté le poteau tout le long du parcours ! J’ai déjà transporté des poteaux, j’ai du mal à imaginer que quelqu’un puisse réaliser un tel exploit : monter un poteau jusqu’ à la Tournelle! Il doit vraiment avoir une forme physique exceptionnelle...